jeudi 11 juillet 2013

Chapitre 20 (Nil)


Chapitre 20
 

 

 

Elena se réveilla le lendemain matin, dans sa chambre blanche et toute propre. Et dans ce silence et cette perfection, elle se sentit horriblement seule. Elle avait mis du temps à s’endormir, en pensant au baiser échangé avec Nil, la veille. Ce n’était pas elle qui avait fait le premier pas. C’était Nil qui s’était penché en premier, lui qui avait osé. Elle le remercia intérieurement. Elle ne se serait jamais lancée comme ça, à se place. Elena se dit qu’elle n’était pas ce qu’elle laissait paraître. Elle n’était pas cette personne joyeuse et déterminée. Elle était lâche et elle n’osait rien. C’est ce qu’elle se disait à ce moment-là, à son réveil.

Elle aurait tellement aimé que Nil soit là, en ce moment, assis sur le lit, à côté d’elle. Au souvenir du baiser, il lui manqua encore plus. Et ce n’était que le lendemain que les médecins avaient prévu de la libérer ! Pfff…

 

De son côté, Nil était déjà réveillé. À vrai dire, il n’avait pas beaucoup dormi de la nuit. Il ne pensait pas le moins du monde au bateau dont ils avaient besoin. Il ne se souvenait même plus du but de ce voyage. En ce moment, il se fichait complètement de retrouver son père et sa sœur. Il repassait la scène de la veille en boucle dans sa tête. Les yeux d’Elena, son menton, ses lèvres, son regard profond… Il aurait tout fait pour être près d’elle, à son réveil !

Il n’était pas du tout à l’hôpital. Oh, non. Il marchait sur la plage, aux côtés d’Hovan. Dans le panier qu’il portait, se cachait Roy, heureux comme tout de prendre l’air. La mer était calme, lisse comme un galet poli. Des minuscules vaguelettes s’écrasaient sur le sable. Le soleil était encore bas, et il faisait un peu frais. Les deux frères discutaient en marchant.

-          Hovan, tu as demandé si tu pouvais nous emmener sur ton bateau ?


-          Oui. J’ai demandé au capitaine que tu as vu hier – il me l’a raconté. Il a dit qu’il allait voir.

-          Et ça veut dire quoi ?

-          Ben… On ne peut pas savoir, quand il dit ça. Il faut s’attendre à tout.

-          Mmh. D’accord.

-          … Nil ?

-          Oui.

-          Sans vouloir être indiscret : que s’est-il passé entre Elena et toi ?

Nil se raidit. De quoi voulait parler Hovan ? Du baiser de la veille ? Du soir où il l’avait rencontrée ? Du voyage qu’ils avaient entrepris ensemble ? Il ne répondit rien. Voyant son visage un peu crispé, Hovan continua, plus doucement :

-          Je ne veux pas savoir tout ce que vous avez vécu ensemble, Nil. J’essaie juste de comprendre ce… la force de ce lien qui vous unit. C’est comme magique. Tu ne t’en rends sûrement pas compte, mais quand vous êtes ensemble, on dirait deux aimants. Un rien vous rapproche. Je pourrais dessiner un fil entre vous deux.

-          Oh… Je… Je ne sais pas, moi. C’est comme ça, c’est naturel. On s’entend bien. On est toujours francs l’un envers l’autre. Et on a vécu des épreuves ensemble.

-          Mh. D’accord.

Hovan ne parut pas satisfait, et Nil le remarqua. Mais que voulait-il ? C’était naturel pour lui. Il avait l’impression d’être né pour rencontrer Elena. Pour lui, c’était aussi simple que ça.

Les deux frères marchèrent en silence pendant un petit moment. De temps en temps, Nil changeait le panier de main, car Roy devenait lourd. Le silence devenait presque pesant. Nil, gêné, annonça doucement qu’il rentrait chez John. C’est ce qu’il fit. Il déposa Roy mangea son repas de midi en compagnie de Mia et John. Puis, prétextant une promenade dans la ville, il repartit aussitôt en direction de l’hôpital.

En un rien de temps, il put voir Elena. Mais arrivé devant la porte de sa chambre, il eut le trac. Oui, réellement, le trac. Il n’avait jamais eu cette émotion devant Elena. La porte de la chambre 112, fermée, devant lui, cela lui donnait le trac. Car il savait que derrière, se trouvait Elena. Elena qu’il avait embrassée, la veille. Il ne lui avait même pas demandé son avis ! Il l’avait prise, comme cela, hop. Puis il était parti. Sans même savoir si elle avait été d’accord. Il avait vraiment l’impression de l’avoir forcé, et il s’en voulait. C’est cette pensée qui le fit revenir en arrière. Non, il n’avait pas la force ni le courage de la voir. Il sortit de l’hôpital, la tête baissée et le cœur lourd, sans voir le regard étonné d’Elena, depuis sa fenêtre au premier étage. Et il rentra chez John.

 

Elena pleurait. Assise sur son lit, les larmes lui brûlaient les yeux avant de mouiller le drap blanc. Pourquoi ? Pourquoi Nil était-il venu à l’hôpital, avant de repartir sans lui rendre visite ? Elle qui avait attendu toute la matinée de le voir ! Lui en voulait-il ? Regrettait-il de l’avoir embrassé, la veille ? Elle ne savait pas, et ce doute lui tordait le ventre. Le doute, c’est pire que de savoir ce qui ne va pas. C’est faire hésiter son cœur entre le soulagement et la tristesse, le bonheur et la colère. Elena se sentait horriblement mal. Elle avait l’impression de mourir. Ce n’était pas le cas, bien sûr, mais rester trois jours à l’hôpital, voir seulement des médecins, attendre Nil pendant des heures… Cela la fatiguait, elle aurait tout donné pour pouvoir sortir d’ici. Et maintenant Nil qui venait et repartait sans venir la voir ! Et ce ne serait que le lendemain qu’elle pourrait s’expliquer avec lui ! Elena eut un hoquet et elle pleura de plus belle.

 

C’était le lendemain. Le jour de la sortie d’Elena.

Nil était assis à l’arrière de la voiture de John, avec Hovan avec lui. Son frère avait accompagné Mia, John et lui pour accueillir Elena. Nil était tout excité, mais en même temps un peu chamboulé. Aurait-il dû rentrer dans la chambre d’Elena, au lieu de repartir, la veille ? Non, il était trop lâche. Et en même temps, il aurait peut-être dû faire le point avec elle. Mais c’était trop tard. Ils feraient le point aujourd’hui. La voiture s’arrêta, et tout le monde descendit. Ils entrèrent dans l’hôpital, demandèrent à voir Elena, et marchèrent jusqu’à sa chambre. John ouvrit la porte notée 112, sans une hésitation. Elena sursauta devant cette entrée imprévue. Elle vit John en premier, suivit de Mia, Hovan et… Nil ! Son cœur fit un bond en l’air.

-          Elena, nous venons te chercher pour rentrer chez moi, déclara John. Tu as besoin de notre aide pour te préparer ?

-          Non, merci, répondit l’intéressée en regardant Nil, qui se faisait tout petit dans un coin de la pièce.

-          Bien, nous allons t’attendre en bas. Rejoins-nous vite ! Nil, tu peux quand même rester avec elle.

Celui-ci hocha la tête, d’un air pitoyable. Les trois adultes sortirent en coup de vent, et les deux adolescents se retrouvèrent seuls. Trois mètres les séparaient. La tension dans l’air était tellement palpable que Nil repensa aux paroles de son frère. « Je pourrais dessiner un fil entre vous deux. » Cela lui donna du courage et il s’avança vers Elena. Celle-ci resta sans bouger, les sourcils légèrement froncés. Nil s’assit sur le lit, et Elena se recula, visiblement contrariée. Cela blessa Nil, qui demanda :

-          Tu… Tu m’en veux, hein ?

-          Oui.

-          C’est vrai que j’aurais dû te demander avant de… de t’embrasser. Je suis désolé. Je ne le referai plus. Je… je…

-          Hein ? Quoi ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Je t’en veux pour hier, parce que tu es venu à l’hôpital sans venir me voir.

-          Mais… Je n’osais pas rentrer parce que je pensais que j’avais été trop loin, en t’embrassant. Je ne t’avais même pas demandé ton avis !

-          Mais enfin, Nil ! N’importe quoi ! Si je n’avais pas eu envie, crois-moi, je t’aurais fichu un claque ! Qu’est-ce que tu es allé croire…

-          Mais avant-hier… Tu n’as rien dit. Et je me suis presque échappé, après…

-          Nil, tais-toi. Sinon je vais exploser. Pourquoi tu as cru que je n’étais pas d’accord ? Et le mot dans le foulard, c’était quoi ? Et tout ce qu’on a vécu ensemble ? Hein ?

-          Elena… Je… Je suis désolé. Désolé.

Elle ne dit rien. Elle s’assit seulement un peu plus sur le lit, se rapprochant de Nil. Elle tendit la main pour lui caresser les cheveux. Il ne fit pas un geste, devenant cramoisis. Sa main toucha les cheveux frisés de Nil, et celui-ci sursauta. Il s’approcha tout doucement d’Elena, leurs visages étaient à un cheveu l’un de l’autre. Mais ce fut Elena qui l’embrassa. Juste un frôlement. Leurs lèvres se touchèrent à peine. Puis Elena s’écarta, elle prit les mains de Nil et le regarda dans les yeux. Un regard douloureux et impatient. Douloureux de s’être disputés, douloureux de savoir qu’Elena était handicapée. Mais impatient de sortir de l’hôpital, impatient de retrouver le père de Nil. Elena lâcha les mains de Nil et lui prit les épaules en disant :

-          Allez, Nil, on y va.

Il aida Elena à se lever, lui tendit ses béquilles et s’étonna qu’elle sache déjà si bien s’en servir. Puis, comme elle n’avait aucun bagage à faire, ils descendirent aussitôt. Ils rejoignirent les adultes en bas. Hovan remarqua qu’il s’était passé quelque chose, mais ne posa aucune question. Il ne fit qu’un clin d’œil complice à son frère.

Chacun monta dans la voiture, et le petit groupe se rendit à la maison de John pour prendre le goûter. L’ambiance était festive. John avait gentiment proposé à Hovan de rester manger quelques biscuits. Ils s’assirent autour de la table du salon. Roy courait partout, excité comme une puce par le retour d’Elena. Il lui léchait la main à chaque seconde, ce qui amusa la jeune fille. Tous souriaient. Alors, Hovan se leva de son petit fauteuil, se racla la gorge et déclara :

-          Mes amis, j’ai une petite annonce à vous faire. D’abord, je voudrais dire que je suis très heureux de voir Elena à nouveau parmi vous. Et j’ai une bonne nouvelle, destinée à elle et à Nil. Les enfants, le capitaine a accepté que je vous emmène en bateau. Il veut juste que je fasse très attention à vous, et en particulier à toi Elena. Car avec ta jambe… D’ailleurs, j’ai trouvé une solution pour que tu participe au voyage.

Tout le monde regarda Hovan, pressé d’entendre la suite. Il sourit et demanda à Nil et Elena :

-          Y a-t-il des personnes de vos villages respectifs qui possèdent comme Spécialité la capacité de guérir n’importe quoi ?

-          Oui, murmura Elena, pensive. Notre chaman. Mais vu l’état dans lequel il était lorsque nous sommes partis… il est devenu fou.

-          Mais je ne connais personne de mon côté ! se lamenta Nil.

-          Nous devons essayer de le soudoyer, insista Hovan. Même un fou peut nous rester utile. Il va falloir qu’il guérisse ta jambe, et ensuite, nous partirons.

-          Sinon… ?

-          Nous réussirons, affirma Hovan.

L’échange terminé, chacun, et Roy sauta de plus belle. Hovan se rassit, content de lui. Nil regarda Elena, et ils se sourirent. Ils allaient pouvoir repartir, à la recherche du père de Nil ! Ils allaient se retrouver dans leur petit monde. Ensemble. Nil prit la main de la jeune fille, et la serra. Celle-ci lui sourit encore plus. Mais Nil la serra encore plus fort, comme pour faire passer un message. Elena, sans comprendre, fronça les sourcils. En guise d’explication, le jeune garçon fit un léger mouvement de la tête en direction du canapé où Mia et John étaient assis. Elena tourna lentement la tête…

Et elle sourit en voyant le bras de John autour de l’épaule de Mia.

 

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